Les héritiers d’Higashi, tome 2 : Bakemono-san

Titre :Les héritiers d’Higashi, tome 2 : Bakemono-san

Autrice : Clémence Godefroy

Illustrateur : Anato Finnstark

Éditeur : éditions du Chat Noir

Genre(s) : fantasy japonaise

Nombre de pages : 198

L’union entre Kaito Odai et Yin Daisen, orchestrée par leurs clans respectifs, paraît renforcer plus que jamais la mainmise de la dynastie des renards sur Higashi. Pourtant, dans l’ombre, la résistance s’organise. Ayané, ses origines enfin révélées, porte tous les espoirs de ses amis, mais tandis qu’elle voyage vers le Sud avec Yoriko et Tadashi, le fardeau de son héritage s’alourdit de jour en jour.

Loin dans les forêts de l’Est, un trio improbable se forme et croise la route d’un terrifiant chasseur de yokai.

Et au Palais des Mille Flamme, Midori, une jeune femme de la lignée des serpents promise à Ren Ishiga, se trouve déchirée entre son désir de servir Yin Daisen et les secrets qu’elle découvre bien malgré elle.

Aux quatre coins de l’archipel, au péril de leur vie, tous vont se rendre compte que le pouvoir des bakemono n’est pas celui que l’on croit…

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Dans l’ombre de Paris

69451Titre : Dans l’ombre de Paris

Autrice : Morgan of Glencoe

Illustrateur : Benjamin Zariel Chaignon

Éditeur : ActuSF (collection Naos)

Genre(s) : fantasy urbaine

Nombre de pages : 456

Depuis des siècles, les humains traitent les fées, dont ils redoutent les pouvoirs, comme des animaux dangereux. 
Lorsque la princesse Yuri reçoit une lettre de son père lui enjoignant de quitter le Japon pour le rejoindre, elle s’empresse d’obéir. Mais à son arrivée, elle découvre avec stupeur qu’elle a été promise à l’héritier du trône de France ! Dès lors, sa vie semble toute tracée… jusqu’à ce qu’une femme lui propose un choix : rester et devenir ce que la société attend d’elle ou partir avec cette seule promesse : « on vous trouvera, et on vous aidera. » 
Et si ce « on » était la dernière personne que Yuri pouvait imaginer ?

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La fille qui tressait les nuages

fille-qui-tressait-previewTitre : La fille qui tressait les nuages

Auteure : Céline Chevet

Illustratrice : Anato Finnstark

Éditeur : éditions du chat noir

Genre(s) : fantastique japonais

Nombre de pages : 294

Saitama-ken, Japon.

Entre les longs doigts blancs de Haru, les pelotes du temps s’enroulent comme des chats endormis. Elle tresse les nuages en forme de drame, d’amour passionnel, de secrets.

Sous le nébuleux spectacle, Julian pleure encore la sœur de Souichiro Sakai, son meilleur ami. Son esprit et son cœur encore amoureux nient cette mort mystérieuse. Influencée par son amie Haru, Julian part en quête des souvenirs que sa mémoire a occultés. Il est alors loin de se douter du terrible passé que cache la famille Sakai…

Fable surréaliste, la Fille qui tressait les nuages narre les destins entrecroisés d’un amour perdu, une famille maudite et les tragédies d’une adolescence toujours plus brève.

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Le Bureau des Jardins et des Etangs

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Titre : Le Bureau des Jardins et des Etangs
Auteur : Didier Decoin
Editeur : Stock
Genre : roman historique
Nombre de pages : 396
Mots-clés : Japon, époque Heian, histoire, littérature, romance, deuil

Quatrième de couverture

Empire du Japon, époque Heian, XIIe siècle. Être le meilleur pêcheur de carpes, fournisseur des étangs sacrés de la cité impériale, n’empêche pas Katsuro de se noyer. C’est alors à sa jeune veuve, Miyuki, de le remplacer pour porter jusqu’à la capitale les carpes arrachées aux remous de la rivière Kusagawa. Chaussée de sandales de paille, courbée sous la palanche à laquelle sont suspendus ses viviers à poissons, riche seulement de quelques poignées de riz, Miyuki entreprend un périple de plusieurs centaines de kilomètres à travers forêts et montagnes, passant de temple en maison de rendez-vous, affrontant les orages et les séismes, les attaques de brigands et les trahisons de ses compagnons de route, la cruauté des maquerelles et la fureur des kappa, monstres aquatiques qui jaillissent de l’eau pour dévorer les entrailles des voyageurs. Mais la mémoire des heures éblouissantes vécues avec l’homme qu’elle a tant aimé, et dont elle est certaine qu’il chemine à ses côtés, donnera à Miyuki le pouvoir de surmonter les tribulations les plus insolites, et de rendre tout son prestige au vieux maître du Bureau des Jardins et des Étangs.

Mon avis

Le Bureau des Jardins et des Etangs m’a principalement attiré par sa quatrième de couverture. Une histoire qui se déroule durant l’époque Heian (12e siècle) est plutôt rare, et encore plus de la part d’un écrivain français ! J’ai donc été intriguée par ce roman et par les quelques critiques que j’ai entendues à son propos.

C’est donc dans un lointain passé et dans un pays bien reculé de notre vieille Europe, que Miyuki vient de perdre brutalement son mari, l’homme de sa vie, Katsuro. Pêcheur de carpes attitré pour les étangs de la cité impériale, Heiankyô, il entreprenait chaque année un voyage vers la capitale pour remettre aux nobles ses plus belles prises. Miyuki se voit donc obligée de suivre les traces de son mari pour honorer le contrat qui existe entre son petit village de province et le Bureau des Jardins et des Etangs. Sur le long chemin qui la sépare de sa destination, elle vivra diverses situations, généralement plutôt désagréables. Cependant, rien ne pourra l’empêcher de mener à bien sa tâche et de découvrir une part de la vie de son mari qu’elle ignorait jusqu’alors.

Si ce roman est loin du genre de la romance, l’histoire d’amour entre Miyuki et son mari tient une place centrale dans le récit. Le voyage qu’elle entreprend équivaut également à son deuil et lui donne l’occasion de repenser à toute sa vie avec Katsuro. A la manière des auteurs japonais, on découvre une vie amoureuse plutôt simple où l’importance de la relation se situe dans la quotidienneté plutôt que dans les effusions de sentiments et d’attentions. On y trouve également un côté érotique qui évoque d’autant plus le lien profond qui unissait ces deux êtres.

Miyuki est donc très touchante à voir son mari dans tous les petits détails de son voyage. Elle se révèle un personnage pleine de naïveté et de pureté. Elle ne voit le mal nul part, est prête à aider son prochain, se montre respectueuse de tout à chacun et finalement ne tient qu’à honorer l’âme de son tendre époux. J’ai beaucoup aimé ce personnage et son chemin initiatique.

Mais ce qui m’a le plus marquer durant toute ma lecture est de très loin le style de Didier Decoin. L’auteur a mis pas moins de 12 ans pour écrire ce roman… et ça se sent ! La quantité d’informations au sujet de l’époque Heian est vraiment incroyable ! L’écrivain a étudié son sujet, sa période et sa littérature pour pouvoir nous offrir son histoire. On trouve d’ailleurs à la fin une bibliographie des ouvrages qui lui ont permis de se documenter. Plus que le simple périple de Miyuki, on voyage – nous lecteur – au coeur du Japon et de sa culture. Les nombreuses et détaillées descriptions nous immergent dans cet univers unique et étranger. On a l’impression de se trouver réellement dans la forêt, de sentir la pluie sur notre peau, de percevoir les différentes odeurs et être ébloui devant la beauté de la capitale. Didier Decoin nous dépeint avec un grand réalisme les diverses saynètes de la vie quotidienne des pêcheurs, des paysans et puis des divers personnages que l’on rencontre au fur et à mesure. De ces descriptions ressort une impression de vision d’estampes japonaises, à la manière des Cents vues d’Edo de Hiroshige, qui a d’ailleurs accompagné l’auteur tout au long de la rédaction de son roman. J’ai donc été particulièrement séduite par la plume de l’auteur qui a su me faire voyager et déployer mon imagination.

J’ai pourtant été gênée par un aspect. J’ai eu l’impression que l’auteur avait fait une liste de ce qu’il voulait mettre dans son roman. Un peu comme :

  • Parler de la vie paysanne – Check
  • Rendre le sexe à la manière japonaise – Check
  • Parler du bouddhisme – Check
  • Parler des conflits historiques de la période – Check
  • etc.

La fin m’a d’ailleurs paru comme étant le check de trop et ne m’a donc de ce fait pas trop plue… J’ai également été un peu perturbée par l’importance de la sexualité et du rapport à l’odeur. Il y avait un aspect sans doute un peu trop pervers pour moi, même si c’était extrêmement bien rendu. Tout cela a eu un impact sur les émotions qui m’ont traversée tout au long de ma lecture. Je n’en ai vécu aucune. Je me suis plutôt sentie comme une étrangère et une simple observatrice de cette histoire ; un sentiment qui ne fera pas de ce roman un coup de coeur.

Citations

« Depuis la mort de Katsuro, la jeune femme vivait dans un brouillard qui assourdissait les sons, détrempait les couleurs. Mais elle pressentait que cette opacité se dissiperait dès qu’elle prendrait la route, et qu’elle verrait alors le monde tel qu’il est en réalité, avec ses aspects positifs et ses pentes néfastes. Puis, lorsqu’elle aurait livré ses poissons, lorsqu’ils glisseraient dans les bassins des temples, sa vie s’empâterait de nouveau, l’obscurité la reprendrait. »

« Les volutes grises du brouillard matinal s’accrochaient aux ronces et aux arbustes dont les rameaux piquetés de fleurs d’un blanc cireux évoquaient des parterres de petites bougies votives. »

Conclusion

Le Bureau des Jardins et des Etangs est un grand roman, surtout pour son écriture magnifique ! L’auteur arrive à nous faire voyager dans le Japon de l’époque Heian et de nous peindre de belles estampes des situations quotidiennes. Sa documentation est juste et impressionnante. Ce voyage se déroule aussi au coeur de l’amour et du deuil auquel l’héroïne doit faire face avec la mort de son mari. J’ai malheureusement eu quelques petites gênes au niveau des différentes thématiques abordées, de la présence importante de la sexualité et du manque d’émotions ressenties.

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Le dernier envol du papillon

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Titre : Le dernier envol du papillon
Auteur : Kan Takahama
Editeur : Glénat
Genre : Josei manga
Nombre de pages : 164
Mots-clés : Japon, Nagasaki, prostituée, romance, Oiran, occidentalisation, kimono

Quatrième de couverture

Kicho, la plus belle courtisane de Nagasaki, séduit tous les hommes sans exception. Cependant, du vieux marchand ivrogne au médecin étranger, elle continue à accepter tous les clients, même les plus méprisables. Quel secret cache-t-elle derrière sa douce mélancolie ? Le jeune garçon qui nourrit une haine farouche envers elle détient peut-être les clefs du mystère…

Mon avis

Quand j’ai aperçu ce manga dans ma librairie, sa couverture et son titre ont emprisonné mon regard et je n’ai pu m’empêcher de l’acheter ! Passionnée par l’histoire japonaise, j’ai été attirée par la présence de cette fille de joie dans un cadre européen, me questionnant sur l’histoire qui pourrait y être cachée.

Le dernier envol du papillon raconte une partie importante de la vie de Kicho, la courtisane la plus en vogue dans le quartier des plaisirs de Maruyama à Nagasaki. Dans les premières pages, on découvre tout d’abord le statut de femme de joie à la fin de l’époque Edo (+- 1855) : vendues alors enfants, elles sont formées à devenir de magnifiques femmes parées richement pour distraire et apporter du bien-être aux hommes. Elles se doivent donc d’être belles, bien apprêtées, cultivées, douces et patientes. Après s’être accoutumé à cette réalité, on pénètre ensuite doucement dans l’intimité de la vie de Kicho, qui accepte tous les clients qui se présentent devant elle, qui aime se rendre à Dejima – l’île réservée aux étrangers – et qui a apparemment un frère gravement malade pour lequel elle s’inquiète. Mais derrière tout cela, elle semble cacher un secret qui la rend bien calme et mélancolique en comparaison des autres courtisanes de la maisonnée.

Se cache déjà dans le titre un pincement au coeur, une tristesse, un déchirement, que l’on s’attend à découvrir au coeur des pages. On le voit se révéler au fur et à mesure, à l’image des couches de kimono qui se retirent les unes après les autres pour dévoiler la personne telle qu’elle se présente naturellement. Comme dans beaucoup d’oeuvres japonaises, les émotions sont totalement induites, jamais clairement énoncées. On les ressent via la narration très étalée et via les dessins. Il faut donc prendre le temps d’observer les scènes, les regards qui s’y échangent, les paroles cachées derrière les silences… Le dernier envol du papillon est une oeuvre sentimentale qui ne pourrait laisser personne de marbre devant l’amour si puissant et pur qui s’y trouve.

Outre le récit, j’ai également apprécié observer le monde des courtisanes de Nagasaki. Ce manga est une véritable ouverture vers un univers unique et particulier au Japon. On y découvrir les coutumes de ces femmes dont la vie se résume à satisfaire pleinement leur client avant de mourir régulièrement d’une MST. Une vie bien pénible dont certaines arrivent à s’échapper en se faisant racheter par un homme qui les désire jalousement ou qui les aime profondément. Comme j’adore l’époque Edo, j’ai été plus que ravie de pouvoir m’échapper un peu dans les rues de l’ancien Japon où la beauté était l’attribut le plus recherché. D’autre part, j’ai également été enchantée de découvrir un pan de l’histoire de la médecine au Japon, via le médecin étranger qui se propose d’enseigner son savoir à qui veut apprendre.

Enfin, j’ai été sous le charme tout au long de ma lecture des dessins de Kan Takahama. J’ai adoré ses portraits de femmes et principalement de Kicho, qui attire toute l’attention. Les coiffures et les kimonos sont absolument ravissants et l’ajout de quelques pages en couleur au milieu du livre permettent de les admirer davantage. J’ai été surprise de voir que les pages de la mangaka sont beaucoup plus sombres que celles des mangas habituels. Les marges sont noires et les tons gris sont fort présents, offrant une certaine intimité ainsi qu’une douceur dans le regard qu’on pose sur les planches. La poésie et la mélancolie qu’on ressent dans l’histoire sont soutenues par ce graphisme qui rappelle par moments la calligraphie ou l’aquarelle. On a l’impression d’être aspiré dans les pages et de n’être capable d’en ressortir qu’avec la blancheur criarde de la postface.

Je pensais ne pas connaitre Kan Takahama, mais en faisant des recherches après avoir terminé ma lecture, j’ai compris que je la connaissais via le titre Kinderbook. L’ayant lu il y a de ça plusieurs années (au moins 10 ans !), je ne me souviens ni de son contenu, ni si je l’avais aimé ou non. Il s’agit pour moi d’une occasion en or de m’intéresser cette fois plus profondément à l’oeuvre de cette mangaka, dont j’ai adoré les traits de dessin et la douce narration.

Extrait

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Conclusion

Le dernier envol du papillon est un manga d’une incroyable beauté, autant dans ses graphismes que dans son récit. La mangaka, Kan Takahama, nous offre une oeuvre d’une grande intimité et très poétique. Comme un coup d’oeil dans le trou d’une serrure, on découvre en toute discrétion la culture des filles de joie, les coutumes de l’époque et l’histoire de la médecine dans ce vieux Japon de la fin du 19e siècle. Ce voyage dans le temps et l’espace couplé à une histoire sentimentale est un ravissement pour les yeux et le coeur !

Livres et Gourmandises : Une femme nommée Shizu (1/10)

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Recueil : Une femme nommée Shizu

Auteur : Shûsaku Endô

Editeur : Denoël

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Nouvelle : Les Derniers martyrs 


Gourmandise de la semaine

Pour commencer ce nouveau rendez-vous, j’ai choisi de vous présenter une gourmandise japonaise ayant un petit lien avec la première nouvelle du recueil de Shûsaku Endô. Il s’agit de castella (カステラ), un gâteau qui a été importé du Portugal lorsque les missionnaires catholiques sont arrivé sur l’archipel. Le lien entre cette pâtisserie et le texte se trouve bien évidemment dans cette fameuse origine.

16402175_10155032939088750_629913885_n.jpgArrivé au Japon au 16e siècle, le castella est préparé à base de sucre, de farine, d’oeuf et de sucre de malt. Il a été ajusté au fil des ans au goût des Japonais et est devenu depuis l’une des grandes spécialités de Nagasaki (ouest du Japon). On en trouve aujourd’hui de toutes les formes et de tous les goûts. J’ai personnellement choisi le castella traditionnel, mais il en existe au matcha (thé vert japonais) ou au chocolat. Ils sont également vendus dans des étals lors de matsuri, festivals, sous une forme ronde qui se mange en une seule bouchée. Ces baby castella, tel qu’ils sont appelés, prennent parfois la forme de petits personnages tels que Pikachu ou encore Hello Kitty.

Il s’agit d’une gourmandise que j’adore car elle a un goût qui me rappelle l’Europe bien que je n’en aie jamais mangé par chez nous. Pour accompagner ce gâteau et ma lecture, je me suis également fait un thé chinois aux amandes 😀

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Avant de vous parler des Derniers martyrs, la première nouvelle du recueil Une femme nommée Shizu, j’aimerais vous présenter son auteur, Shûsaku Endô (周作 遠藤).

L’auteur est né en 1923 à Tokyo et y est mort à l’âge de 73 ans. Il est principalement connu au Japon et en France pour ses écrits traitant de sa foi catholique. En effet, baptisé à l’âge de 11 ans suite à la conversion de sa mère, Shûsaku Endô reçoit une éducation catholique et se passionne pour sa littérature pendant ses études universitaires. Son premier roman, L’Homme blanc, publié en 1955, remporte immédiatement un franc succès et gagne le prix Akutagawa au Japon. Tout au long de sa vie, il écrit des romans et des nouvelles en donnant une voix aux catholiques japonais, longtemps exclus et lynchés dans ce pays aux valeurs shintoïstes et bouddhistes. La plupart de ses écrits sont adaptés au cinéma, et ce même parfois à plusieurs reprises. D’ailleurs, son livre Silence, qui raconte l’arrivée des missionnaires portugais au Japon, a été réadapté sur grand écran et sort dans les salles en Belgique/France au début du mois de février ! N’hésitez pas à aller le voir.

Le recueil de nouvelles Une femme nommée Shizu rassemble dix nouvelles écrites entre 1959 et 1985. Elles aborderont principalement la question de Dieu, du péché, de la foi, mais aussi de la souffrance physique et morale due aux maltraitances qu’ont connu les croyants japonais. La première nouvelle du recueil s’intitule Les derniers martyrs et traite de tous ces thèmes.

Le décor est directement posé avec la première phrase : « Près de Nagasaki, dans la région d’Uragami, se trouve le village de Nakano ». On se doute ainsi rapidement qu’il s’agira d’une histoire en lien avec le christianisme, car la ville de Nagasaki est l’endroit où sont arrivés les premiers missionnaires et où le Japon maintenait un lien avec le reste du monde. On fait ensuite la connaissance de nos trois personnages principaux : Kisuke, un garçon aussi peureux que son physique est imposant, Kanzaburô et Zennosuke, ses deux grands amis qui aimeraient faire de lui un croyant fervent et courageux. Car en effet Kisuke, craintif et lâche, n’hésite pas à s’enfuir face à ce qui le terrifie et pourrait être amené à trahir sa foi si l’occasion devait se présenter. Et celle-ci survient le 15 juillet 1867 en pleine nuit lorsque le village est envahi par les forces de l’ordre et qu’une centaine de personnes sont enfermées à cause de leur croyance. Pour les forcer à « se coucher », autrement dits à renier leur foi catholique, les gendarmes affublent de coups et torturent les prisonniers. Parmi les gens qui renient le Christ et ceux qui subissent ces souffrances, évoluent nos trois personnages qui se questionnent sur le silence de Dieu, sur leur foi, sur la nécessité de subir de telles tortures et sur les conséquences de leurs actes.

Cette nouvelle de seulement 25 pages est riche non seulement en informations sur la vie que menaient les catholiques japonais, mais aussi et surtout en émotions. Shûsaku Endô nous fait d’abord pénétrer dans le petit village de Nakano et nous présente les moeurs de la communauté chrétienne. Il nous livre ensuite sous la forme d’une anecdote la véritable nature de ce grand gaillard peureux et amène ainsi le lecteur à réfléchir, tout comme ses deux amis, à son devenir face à la souffrance et au jugement qu’il devra subir lorsqu’il « se couchera ». Par la suite, on découvre avec horreur le sort de Kisuke, Kanzaburô, Zennosuke et de tous les autres croyants qui sont torturés de plus en plus au fur et à mesure que le temps passe. Etant très sensible face à de telles scènes, j’ai été profondément marquée par cette nouvelle qui m’a prise à la gorge et aux tripes. On ressent la douleur, la solitude, la peur, le désespoir, l’incompréhension, les remords, … et puis cette lueur d’espoir qui malgré tout continue de brûler doucement dans les ténèbres. Avec un style très épuré et intime, l’auteur nous fait vivre intensément l’existence de ces derniers martyrs, nous rappelant qu’il y a eu tant d’histoires semblables par le passé et que malgré tout la foi a perduré dans le cœur de ces Japonais. Car en effet, comme nous l’apprenons au fil des pages, les chrétiens nippons furent persécutés pendant plusieurs siècles, forçant la plupart d’entre eux à pratiquer leur foi clandestinement. La question de loyauté à Dieu et son Fils était ainsi d’autant plus forte que les adeptes de la religion jouaient en permanence leurs vies.

Les derniers martyrs m’est apparu telle une parabole évangélique, proposant de manière insidieuse un enseignement. Parmi les nombreuses questions que soulève sa lecture, on en retiendra principalement deux : « Se coucher » est-ce renier sa foi et trahir Dieu ? Pourquoi subir toutes ces souffrances ? L’auteur apportera ses propres réponses, inspiré on s’en doute bien des enseignements de la Bible. Je les ai personnellement beaucoup appréciées et me suis sentie sur la même longueur d’onde que l’écrivain.

La première nouvelle de ce recueil m’a en conclusion fort plu tout autant pour son récit, son écriture et sa philosophie. J’y ai appris également plus sur le catholicisme au Japon, pays où les églises n’existent principalement que pour les cérémonies de mariage à l’Occidentale.

Par contre, j’aurais quelques réclamations vis-à-vis de l’édition du livre. J’aurais en effet aimé avoir une préface explicative concernant l’auteur (sa vie, son oeuvre) et les nouvelles exposées dans ce recueil, tout comme c’était le cas dans Râshomon et autres contes publié chez Folio. En effet, pour des auteurs ayant marqué profondément la littérature de leur pays et mondiale, je trouve important de les présenter aux lecteurs pour leur donner envie de s’intéresser sérieusement au contenu du livre et plus généralement à l’oeuvre de l’écrivain en question. J’aurais également voulu savoir en quelle année a été écrite chaque nouvelle afin de pouvoir les situer parmi les autres romans de Shûsaku Endô.

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Avec cette première nouvelle du recueil Une femme nommée Shizu de Shûsaku Endô commence le nouveau rendez-vous de la semaine sur le blog ! Tant que je suis au Japon, j’en profite à fond pour vous faire et découvrir des auteurs japonais, et des gourmandises particulières de ce pays !

Nouvelle 1 : Les derniers martyrs
Nouvelle 2 : Les ombres
Nouvelle 3 : Un homme de cinquante ans
Nouvelle 4 : Adieu (à venir)
Nouvelle 5 : Le retour (à venir)
Nouvelle 6 : La vie (à venir)
Nouvelle 7 : Un homme de soixante ans (à venir)
Nouvelle 8 : Le dernier souper (à venir)
Nouvelle 9 : La boîte (à venir)
Nouvelle 10 : Une femme nommée Shizu (à venir)

Ne manquez pas mercredi prochain mon avis sur la deuxième nouvelle, intitulée Les ombres !

#Yuixem

Éclipses japonaises

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Titre : Éclipses japonaises
Auteur : Eric Faye
Editeur : Seuil
Nombre de pages : 240
Genre : roman contemporain
Mots-clés : Japon, Corée du Nord, Corée du Sud, enlèvement, espionnage, vie quotidienne

 

 

Quatrième de couverture

En 1966, un GI américain s’évapore lors d’une patrouille dans la zone démilitarisée, entre les deux Corées. À la fin des années 1970, sur les côtes japonaises, des hommes et des femmes, de tous âges et de tous milieux, se volatilisent. Parmi eux, une collégienne qui rentrait de son cours de badminton, un archéologue qui s’apprêtait à poster sa thèse, une future infirmière qui voulait s’acheter une glace. « Cachés par les dieux », ainsi qualifie-t-on en japonais ces disparus qui ne laissent aucune trace, pas un indice, et qui mettent en échec les enquêteurs. En 1987, le vol 858 de la Korean Air explose en plein vol. Une des terroristes, descendue de l’avion lors d’une escale, est arrêtée. Elle s’exprime dans un japonais parfait. Pourtant, la police finit par identifier une espionne venue tout droit de Corée du Nord. Longtemps plus tard, le lien entre ces affaires remontera à la surface, les résolvant du même coup. Par la grâce de la fiction, Éric Faye saisit l’imaginaire et la vie secrète de ces destins dévorés par un pays impénétrable et un régime ultra autoritaire.

Mon avis

Éric Faye est un auteur que j’avais déjà découvert il y a quelques années avec son livre intitulé Nagasaki. Ce dernier m’a laissée une forte impression et il m’arrive encore fréquemment d’y repenser, même si je ne me rappelle plus de tous les détails. Quand ma grand-mère m’a dit avoir acheté son nouveau livre – oui, ma grand-mère et moi adorons parler de livres ❤ -, je n’ai pas pu m’empêcher de le lui emprunter !

Avec Éclipses japonaises, Éric Faye donne une voix aux « cachés par les dieux », ces personnes ayant été enlevées dans les années 1970-1980 par des Nord-Coréens afin de former de futurs espions du Régime. On suit principalement tout au long du récit deux Japonaises, Naoko Tabane, kidnappée à 13 ans, et Setsuko Okada. Mais nous découvrons également le récit du GI américain Jim Selkirk, de l’archéologue Shigaru Hayashi et de l’espionne nord-coréenne Chai Sae-Jin. A travers plusieurs points de vue, on parcourt ainsi plus de 30 ans de la vie de ces personnes qui n’ont pu décider eux-mêmes de leur destinée.

Face à leurs histoires, on assiste non seulement à un arrachement géographique mais également identitaire. Les kidnappés sont en effet forcés d’apprendre le coréen, de réciter par cœur la doctrine du dictateur Kim Il-sung, de donner des cours de langue et de savoir-vivre pour que les futurs espions nord-coréens puissent se faire passer pour de vrais Japonais/Américains. Ils sont également obligés de se marier avec des inconnus, d’apparaître sans consentement dans des films, de se faire porter disparus ou même de se laisser tuer par le Parti. Dans cette espèce de huis-clos, il est impossible de s’enfuir ou d’affirmer sa personnalité. Nos deux amies japonaises n’oseront jamais évoquer l’incident qui les a fait venir en Corée du Nord. Quand elles se rencontreront dans la rue, elles ne s’échangeront que des conversations formelles, de peur d’être sous écoute. Quand elles auront des enfants, ceux-ci ignoreront tout de la vie de leur mère, croyant être des Nord-Coréens de souche. Si tout cela parait bien gris, choquant et malheureux, des petits moments de bonheur se glisseront tout de même ici et là, offrant à la Corée du Nord une place importante dans leur cœur.

Bien qu’un fil rouge relie toutes les histoires, le récit apparaît plutôt de manière déconstruite. Le récit commence par exemple avec la capture de l’espionne Chai Sae-Jin qui, lors de son interrogation, évoquera sa professeur de japonais, Naoko. On fera donc un retour dans le temps pour découvrir l’histoire de cette collégienne enlevée alors qu’elle rentrait de son club de badminton. Lorsque celle-ci évoquera son ami Setsuko, le chapitre suivant abordera le point de vue de cette dernière. Nous passerons ainsi de suite à chaque protagoniste jusqu’à remonter à la piste découverte par un journaliste japonais qui révélera au monde ces fantômes oubliés de la société. Plus qu’une chronologie temporelle, on assiste dans Éclipses japonaises à une sorte de chronologie relationnelle, passant d’un personnage évoqué à un autre. Si cela peut paraître quelque peu perturbant au premier abord, j’ai finalement beaucoup aimé cette manière de faire si peu répandue.

Outre cette caractéristique narrative, l’autre aspect primordial de ce roman est évidemment le fait qu’il soit basé sur des faits réels. Éric Faye a décidé dans son livre de partager au grand public l’histoire si peu connue de ces gens. Pour ce faire, il s’est documenté à l’aide de plusieurs livres, documentaires, films, tous listés en fin d’ouvrage. Il a également rencontré le GI américain qui a servi de base au personnage de Jim Selkirk. Malgré cela, Éclipses japonaises demeure un livre de fiction puisque l’auteur a par exemple imaginé le déroulement des scènes d’enlèvement ou encore les émotions des divers protagonistes. Cette caractéristique majeure du roman en fait un livre particulièrement poignant. J’ai grandement été bouleversée par ce que j’ai appris entre ces lignes, puisque j’ignorais tout de ces événements. Grande passionnée d’Histoire, j’ai pu découvrir grâce à ce roman une nouvelle facette de l’histoire du Japon – pays qui me passionne – et de la Corée – à laquelle je commence à m’intéresser de plus en plus.

A cela s’ajoute encore le style de l’auteur d’une grande sobriété. Ni excès ni effusion de sentiments ne sont de mise dans ce roman intimiste. Tout au long du récit, on ressent une grande réserve venant de la part des différents personnages. S’ils nous confient leur histoire, cela se fait toujours avec une certaine timidité, comme s’ils avaient encore peur que quelqu’un les écoute. On se prend rapidement d’affection pour eux, on se sent triste de la situation dans laquelle ils se trouvent et on aimerait tellement être en mesure de les aider. Avec son style simple, l’auteur ne nous impose aucune émotion forcée et nous laisse ressentir ce que notre cœur nous dicte.

Citations

« C’était le premier terme coréen qu’elle apprenait mais elle ignorait encore à quelle langue il se rattachait. Le premier parmi les dizaines de milliers de mots qui l’attendaient sur la côte. Il devait signifier qu’elle avait la vie sauve, qu’elle était une erreur de parcours, certes, mais une erreur graciée. Et ce petit mot de rien du tout, chaque fois qu’elle aurait à le prononcer au cours des années suivantes, laisserait glisser dans son esprit, comme échappé d’un double fond de la sémantique, quelque chose comme : « Tu as le droit de vivre. » Jamais ce terme à tout faire, qui sert de cale aux conversations bancales, ne lui paraîtrait anodin. »

« A force de parler, Naoko Tanabe avait la sensation de se vider de sa langue maternelle comme de son enfance. Tout laissait croire qu’elle témoignait d’une planète lointaine à laquelle elle avait été arrachée à des fins ethnologiques, et qu’elle continuerait ainsi jusqu’à ce que mort s’ensuive. C’était bien cela. Naoko Tanabe s’écoulait en eux : c’était une transfusion d’elle-même – souvenirs et jours anciens qui glissaient d’elle en eux -, transfusion de mots, de noms et d’événements. Quand ses élèves seraient devenus des Naoko Tanabe, elle-même aurait tari. C’en serait fini d’elle. »

Conclusion

J’ai été séduite par Éclipses japonaises du début à la fin, ressentant avec une grande intensité les divers événements qui se sont déroulés au fil des pages. L’intime témoignage de ces personnes me laissera une trace immuable, tels le roman Certaines n’avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka. Je ne pourrais plus jamais oublier que de tels faits ont eu lieu et sont encore peut-être d’actualité de nos jours. Si Nagasaki m’avait particulièrement marquée pour son ambiance, je retiendrais ici le style et la narration si humaine et intime d’Éric Faye. Ce roman fut une magnifique découverte de ce début d’année 2017 !

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Izunas – Kamigakushi

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Titre : Izunas
Sous-titre : Kamigakushi
Saga : La légende des nuées écarlates
Auteurs/dessinateurs : Saverio Tenuta, Bruno Letizia et Carita Lupatteli
Editeur : Les Humanoïdes Associés
Nombre de pages : 48
Nombre de volumes : 2 (terminé)
Genre : bande dessinée fantasy
Mots-clés : shintoïsme, mythologie, Japon, malédiction, monstres

 

 

Quatrième de couverture

Depuis la nuit des temps, les Loups Izunas sont les protecteurs de l’Arbre Sacré. Ils s’opposent férocement aux démons Noggos, maintenant ainsi une frontière invisible entre le monde des hommes et celui des esprits. L’apparition mystérieuse d’une jeune fille au sein de la meute va bouleverser ce fragile équilibre.

Mon avis

La bande dessinée Izunas a tout pour séduire la grande fan du Japon que je suis ! Quand j’ai posé mes yeux sur sa couverture, j’ai directement pensé au film Princesse Mononoke du Studio Ghibli : les loups Izunas me rappelant les dieux loups et Aki, San. Je n’ai donc pas hésité un seul instant à me procurer cet album ! J’ai réalisé par la suite qu’il s’agit en réalité d’un spin-off à la saga La Légende des nuits écarlates.

La légende qui nous invite à pénétrer dans cette bande dessinée nous explique qu’il existe une sorte de voile empêchant divinités et hommes de se voir : les deux mondes sont donc hermétiquement séparés. Un grand arbre sacré est le gardien du monde divin et se fait protéger par la meute des Izunas, des espèces de grands loups à cornes. Mais l’arrivée des Noggos, des ombres noires, met en danger leur monde paisible et les Izunas sont de plus en plus déstabilisés. Un évènement renversant viendra d’autant plus perturber leurs vies : l’arrivée d’une fille humaine parmi eux. Aki ne sait pas pourquoi elle est née là, elle ne connait pas non plus la mission que semble lui avoir confiée l’arbre sacré et se sent mal acceptée par la meute, qui ne voit en elle qu’une espionne des Noggos. Malgré tous ses efforts pour bien se faire voir, elle causera sans le vouloir la destruction de l’arbre sacré et devra s’enfuir dans le monde humain avec son meilleur ami Izuna, Kenta afin de trouver une manière de sauver le monde divin.

Izunas – Kamigakushi possède un univers très bien construit empli de références au shintoïsme, au Japon féodal et au folklore nippon. On retrouve ainsi les divinités, la prédominance de la nature, les grands chefs de guerre, etc. J’ai particulièrement adoré les Izunas, grands, imposants, féroces, mais également très protecteurs. Ils sont en plus très bien rendus grâce au dessin de Carita Lupatteli et se mélangent merveilleusement bien à la nature ambiante, elle aussi si bien dessinée. L’aventure dans laquelle les auteurs nous plongent est pleine de mystère et nous pousse à tourner les pages rapidement les unes après les autres. On se pose pleins de questions sur la naissance étrange d’Aki, sur la véritable nature des Noggos ou encore sur le devenir du monde divin.

J’ai lu Izunas – Kamigakushi très rapidement et j’ai passé un agréable moment à me plonger dans son folklore. Malheureusement, j’ai trouvé que les évènements s’enchainent beaucoup trop vite, ce qui ne m’a pas laissé le temps de m’attacher aux différents personnages. C’est d’ailleurs un problème que j’ai avec les bandes dessinées en général. Je trouve que raconter une belle et profonde histoire en une cinquantaine de pages est généralement impossible. Dans les mangas, on a parfois plusieurs dizaines de tomes et les auteurs ne se soucient jamais du nombres de pages pour exprimer toutes la puissance des émotions. Ainsi, dans Izunas, je n’ai absolument rien ressentis, ni peur, ni tristesse, ni frisson, ni passion. Et c’est très clairement le point négatif de cette série. J’aurais aimé pouvoir croire que je fais partie de cet univers, mieux connaitre les personnalités de nos personnages et m’attacher à chacun d’eux. Je lirai le deuxième tome pour savoir comment l’histoire se termine, mais je n’ai aucune envie pressante de me le procurer rapidement. De plus, je doute m’intéresser à la saga principale La Légende des nuits écarlates.

Enfin pour terminer, j’ai vraiment beaucoup aimé les dessins de manière générale. Les décors et paysages sont magnifiques, les Izunas particulièrement charismatiques et les humains très réalistes dans leurs expressions. Mon seul hic concerne l’héroïne Aki, que je trouve tout simplement laide. Dommage, mais bon, ce n’est pas cela qui m’a particulièrement dérangé dans cette bande dessinée.

Extrait

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Conclusion

Izunas – Kamigakushi est une bande dessinée sympathique à lire si vous l’avez entre les mains. Malheureusement, elle ne fait que traverser notre vie, sans laisser aucune trace. Dommage…

banal

 

Livres et Gourmandises : Rashômon (4/4)

Un nouvelle une gourmandise (1)

Recueil : Rashômon et autres contes

Auteur : Ryûnosuke Akutagawa

Éditeur : Gallimard

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Nouvelle : Gruau d’ignames

Année de publication : 1916


Gourmandise de la semaine

Pour découvrir la dernière nouvelle du recueil Rashômon et autres contes de Ryûnosuke Akutagawa, j’ai décidé de déguster un dorayaki ! Et qui dit spécialité japonaise, dit presque toujours haricots rouges ! Le dorayaki n’échappe pas à cette règle puisqu’il s’agit d’une pâte de haricot rouge, anko, enveloppée de deux espèces de pancakes. Vivant à Osaka, je ne mange que très rarement cette sucrerie très répandue à Tokyo. Je ne raffole pas outre mesure des dorayaki que l’on trouve en konbini (convenience store). Il me tarde donc de faire un saut à la capitale et de trouver un étal qui en prépare, comme dans le film Les Délices de Tokyo !

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Avec la lecture de Gruau d’ignames, nous voilà donc arrivés au terme du recueil de Rashômon et autres contes. Si j’avais l’impression que l’on allait atteindre une sorte d’apothéose avec cette dernière nouvelle, j’avoue de but en blanc que j’ai été quelque peu déçue.

Le commentateur de cette nouvelle nous explique directement qu’il s’agira de l’histoire d’un personnage sans intérêt : un officier du cinquième rang sans nom, auquel l’auteur fera référence par Goi (« 5e rang » en japonais). Ce misérable et pitoyable protagoniste vit une vie sans couleurs que personne n’envie. Méprisé de tous, cela n’empêche pas Goi d’avoir un rêve, celui de manger jusqu’à satiété du gruau d’ignames (patate douce), un mets délicat normalement réservé aux grandes occasions. Lors d’un grand banquet, Goi rencontre Fujiwara Toshihito, le fils du ministre de l’Intérieur du seigneur de sa région. Ce dernier entend notre héros soupirer son envie de gruau et lui propose de le rassasier en l’invitant chez lui. Cette nouvelle raconte donc comment Goi réalise son rêve plus rapidement qu’il ne l’aurait cru.

Sans trop rentrer dans les détails de la nouvelle qui fait tout juste 30 pages, le début de Gruau d’ignames nous décrit en détail notre personnage principal. Affublé d’un nez rouge, son visage n’a aucun charme et peut même être qualifié de laid. Son attirail ne le met pas davantage en valeur et n’attire sur lui que la pitié, l’indifférence et le mépris. Sa personnalité n’est pas plus relevante que cela : passif, ignare, lâche, … Son entourage le déteste, s’amuse à le ridiculiser, le prend de haut ou en pitié, ou l’ignore tout simplement. Son portrait donné par l’auteur nous pousse à ressentir les mêmes sentiments à son encontre et fait en sorte qu’on ne s’attache pas à lui. Passé la quarantaine, Goi ne semble avoir rien accompli de sa vie, se complaisant dans sa routine d’officier et chérissant des rêves simplets. Le but de sa vie, qui est de manger du gruau d’ignames, semble d’ailleurs tout aussi stupide qu’il ne l’est. Jusqu’à la fin, on le trouve ridicule, niais même si personnellement je n’accepte pas les traitements que lui afflige son entourage. Si je m’attendais à une punition divine qui tomberait sur ces « méchants », que nenni ! J’ai eu davantage l’impression qu’Akutagawa poussait Goi à creuser sa tombe jusqu’au bout.

Bien qu’il ne se passe pas grand-chose dans cette nouvelle, j’ai beaucoup apprécié le style de l’auteur japonais. Les tournures des phrases, traduites en français, sont très belles et donnent en suffisance des détails sur les personnages, sur les situations et sur l’environnement qui les entourent. J’ai personnellement toujours des coups de cœur pour les descriptions de la nature !

« La plaine où résonnaient les fers des chevaux était, à perte de vue, couverte de roseaux morts. Les étangs qui se trouvaient çà et là reflétaient l’azur du ciel en une telle frigidité que cet après-midi d’hiver semblait s’y glacer tout simplement. »

Mais au final, que retenir de Gruau d’ignames ? J’admets avoir eu plus de mal à lire entre les lignes de cette nouvelle-ci que dans les précédentes… Je vous donne mon humble avis sur la « morale » que l’on peut déceler, mais je pense qu’Akutagawa a laissé cette histoire très ouverte afin que tout lecteur puisse l’interpréter à sa manière, en fonction de sa personnalité et de son vécu. Ainsi, j’ai personnellement été touchée par la thématique de l’objectif de la vie, directement liée à celle du bonheur. Dans cette nouvelle, Goi accomplit son rêve et à la fin repense à celui qu’il était avant : est-il réellement plus heureux à présent ? Finalement, malgré sa pauvre vie, Goi chérissait tendrement « cet heureux rêve de gruau d’ignames » et était ainsi heureux d’une certaine manière. Maintenant son rêve réalisé, la lumière qui occultait les défauts de sa vie a disparue et notre personnage réalise enfin toute sa médiocrité.

Terminer le recueil de Rashômon et autres contes par cette nouvelle n’a sûrement pas été réalisé par hasard. En effet, les nouvelles ne sont pas placées par ordre chronologique ou par thématiques. Je pense qu’avoir commencé le recueil par la nouvelle la plus connue de l’auteur et par une histoire évoquant une porte nous permet de pénétrer dans l’univers noir et pessimiste de Ryûnosuke Akutagawa. Clore ce recueil avec Gruau d’ignames termine notre cheminement, notre rêve de grandeur de l’auteur, par une chute des plus fatales, tout en restant ouverte. Même si mon premier sentiment en terminant cette nouvelle fut la déception, je suis finalement heureuse de terminer ce recueil par cette nouvelle, qui incarne parfaitement la manière de penser d’Akutagawa. Ces récits, étant généralement noirs, dépressifs, pessimistes ou même parfois dégoûtants, n’ont sûrement pas été écrits pour nous faire ressentir des sentiments agréables. Il est donc tout à fait normal de ressortir à la fin de notre lecture dérangé, perplexe, déçu, frustré, voire même en colère au sujet du scénario ou du style.

Il ne fait donc sans aucun doute que je suis tombée sous le charme particulier de Ryûnosuke Akutagawa. Je pense tout de même qu’il ne s’agit pas d’un auteur facilement abordable. A ne sûrement pas lire pour la détente ou pour passer le temps, ces nouvelles méritent toute notre attention et notre réflexion pour découvrir le génie qu’elles recèlent.


Voilà ! L’aventure avec Ryûnosuke Akutagawa est enfin terminée ! J’espère que cela vous a plu et vous a donné envie de découvrir cet incroyable auteur japonais ! Personnellement, je ne pense pas m’arrêter en si bon chemin et j’ai hâte de découvrir d’autres de ces œuvres. J’ai d’ailleurs déjà rajouté à ma PAL un autre recueil de ses nouvelles, La Vie d’un idiot.

Si vous souhaitez (re)découvrir mon avis sur les autres nouvelles du recueil Rashômon et autres contes, voici les liens :

Nouvelle 1 : Rashômon
Nouvelle 2 : Figurines infernales
Nouvelle 3 : Dans le fourré
Nouvelle 4 : Gruau d’ignames

La lecture de ce recueil de nouvelles de Ryûnosuke Akutagawa s’inscrit également dans le challenge Bungô Stray Dogs que je me suis lancée personnellement pour découvrir les auteurs classiques de la littérature japonaise ! N’hésitez pas à y participer si cela vous tente également!

#Yuixem

Livres et Gourmandises : Rashômon (3/4)

Un nouvelle une gourmandise (1)

Recueil : Rashômon et autres contes

Auteur : Ryûnosuke Akutagawa

Editeur : Gallimard

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Nouvelle : Dans le fourré

Année de publication : 1921


Gourmandise de la semaine

L’automne s’est enfin bien installé au Japon et je commence à passer de plus en plus de temps dans ma chambre, bien au chaud. J’ai la chance d’avoir un kotatsu, sous lequel je pense entrer en hibernation avec une énorme pile de livres ❤

Mais qu’est-ce qu’un kotatsu ? Il s’agit d’une table basse sous laquelle se trouve un radiateur. Entre ces deux parties se trouve une grosse couverture qui permet d’empêcher la chaleur de s’échapper du dessous du meuble. On peut ainsi étendre ses jambes complètement ou les replier en dessous de la table et se tenir bien au chaud ! Comme il y a peu de logement équipé de chauffage central, les Japonais utilisent régulièrement des couvertures chauffantes, des kotatsu ou simplement la climatisation pour se réchauffer en hiver. Je possède les trois dans ma maison, mais j’ai un faible pour le kotatsu que je trouve des plus confortables !

Pendant ma lecture de la troisième nouvelle du recueil de Rashômon et autres contes, j’ai décidé de manger un taiyaki fourré à la crème pâtissière. Ce petit gâteau japonais en forme de poisson est préparé à base d’une pâte ressemblant à celle utilisée pour les pancakes ou les gaufres. Récemment, j’ai découvert également certains endroits qui les préparent à partir de croissant ! On trouve facilement dans les rues des étals qui les vendent fourrés à plusieurs goûts comme par exemple avec de l’anko (pâte de haricots rouges japonais), ou de la crème au chocolat ou encore à la patate douce. Près de chez moi, malheureusement, le seul endroit où je pouvais me fournir a fermé. Je n’ai donc eu d’autres choix que de me rabattre sur le conbini (convenience store) du coin :p Moins gouteux que ceux fraichement sorti du moule, mon taiyaki bon marché était suffisamment bon pour tout de même satisfaire mon envie soudaine :p En Belgique et en France, on peut en trouver facilement dans les épiceries asiatiques, si jamais ça vous tente d’essayer 😉

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J’ai l’impression que l’ordre des nouvelles de ce recueil est organisé de telle manière qu’on découvre graduellement le génie de Ryûnosuke Akutagawa ! Dans le fourré est encore mieux que Figures infernales ! Je crois que j’aurai du mal à dire quelle nouvelle est ma préférée du recueil :p

Dans le fourré se présente comme une nouvelle du genre policier. En effet, un homme est mort dans un fourré et il semble du devoir du lecteur de comprendre ce qui s’est passé. Pour nous aider dans cette tâche, l’auteur nous met à disposition :

  • La déposition d’un bûcheron interrogé par le lieutenant criminel
  • La déposition d’un moine itinérant interrogé par le même lieutenant criminel
  • La déposition d’un mouchard interrogé par le même lieutenant criminel
  • La déposition d’une vielle femme interrogée par le même lieutenant criminel
  • L’aveu de Tajômaru (le brigand)
  • La confession d’une femme venue au temple Kiyomizu
  • Le récit de l' »ombre » par la bouche d’une sorcière

Les premières dépositions nous présentent les faits : un homme d’un certain rang se rendait à la ville avec sa femme, montée sur un cheval. Plus tard dans la journée, un bandit a été retrouvé avec les affaires du samouraï, tout portant à croire qu’il est l’assassin. La femme, pour sa part, reste introuvable. Jusque-là, rien d’étrange. Par la suite, nous avons droit à la version des faits selon les trois personnages liés à ce meurtre : le brigand, le mort et la femme. Si l’on croit découvrir la vérité derrière les évènements, nous faisons fausse route. En effet, nous assistons à trois versions fort différentes l’une de l’autre, nous laissant dans un état de perplexité sans pareil. Sans nous donner de fin en tant que tel, Akutagawa nous abandonne ainsi dans le flou.

Qu’est-ce que l’on doit comprendre de cette histoire ? Outre le fait de donner mon avis sur les nouvelles d’Akutagawa, je ressens le besoin d’expliquer comment j’ai personnellement compris chacune d’elles. Si je ne le faisais pas, j’aurais l’impression que cela ne vous donnerait pas envie de les lire… Ainsi, je m’excuse d’avance si je dévoile trop l’histoire ou si je vous gâche le plaisir de cette future lecture. Cependant, j’espère que cela vous donnera davantage envie de découvrir ce formidable auteur.

Comme ce fut le cas pour Rashômon, Akutagawa nous invite à nouveau à réfléchir à ce qui se déroule entre les lignes. La première pensée qui nous vient à l’esprit, c’est que quelqu’un doit bien mentir ! Certains points sont communs dans toutes les histoires : l’homme est bien mort, le brigand a violé la femme et a volé les affaires de l’homme et la femme s’est enfuie honteuse après avoir souhaité la mort de son mari. Mais le déroulement de l’évènement et l’assassin changent à chaque fois. Mais où commence donc la vérité et s’arrête le mensonge ? Cependant, en y réfléchissant bien, il ne fait aucun doute qu’ils disent tous la vérité :

  • L’aveu de Tajômaru est fait devant la loi, devant laquelle il nous faut normalement dire toute la vérité. Même si des mensonges s’y glissent parfois, ici il est presque certain qu’il n’y en a aucun, car sa déclaration ne l’aide en aucune manière à échapper à la peine suprême.
  • La femme, elle, se confesse au temple, lieu et place où l’on se dévoile tel que l’on est devant Dieu. A nouveau, on imagine mal qu’elle invente une histoire que seule Dieu puisse entendre.
  • Et enfin, on a la version des faits du mort via une médium. Concernant les âmes défuntes, on a également une vision de celles-ci pures et honnêtes, dénuées d’arrières-pensées et de mensonges.

Mais alors, pourquoi les versions sont-elles à ce point différentes ? J’ai alors repensé à l’allégorie de la caverne de Platon et à la question de la réalité/vérité. Dans cette histoire, des hommes sont enchainés face à un mur dans une cave. Derrière eux, un feu est allumé et projette diverses ombres sur le mur. Ainsi, pour ces prisonniers, tout ce qu’ils perçoivent (odeur, son, vision) représente pour eux leur réalité/vérité. Un de ces prisonniers, le philosophe en devenir, est alors détaché et emmené à l’extérieur pour découvrir le monde réel. Dans le cas de Dans le fourré, on retrouve un peu cette même situation. Les trois protagonistes sont éloignés du monde réel en pénétrant dans le fourré, même le cheval ne peut les suivre. Ce qui s’est officiellement déroulé dans la forêt, chacun des personnages l’a perçu à sa manière : les mots, les regards, les gestes, mais aussi les émotions. La réalité semble avoir été interprétée de manières différentes par les trois personnages, incarnant pourtant pour eux la vérité. J’ai donc l’impression que le message que veut faire passer l’auteur dans cette nouvelle est que la réalité est de l’ordre du sensible, du subjectif et que tenter d’atteindre la réalité objective est une mission vaine. On le comprend via le lieutenant criminel qui échoue dans sa mission de découvrir ce qui s’est passé.

Dans le fourré se présente donc comme une nouvelle très moderne sur plusieurs points de vue. Tout d’abord, comme nous venons de le voir, dans sa façon de pousser à une réflexion plus profonde, limite philosophique, sur la nature de la réalité, de la vérité. Mais surtout et ensuite dans sa façon d’aborder le récit à partir de plusieurs points de vue et de manière déconstruite. En effet, nous sommes généralement habitués à connaitre les évènements d’une histoire par ordre chronologique et surtout d’avoir une fin les concluant. Ici nous commençons le récit en quelque sorte par le milieu, avec l’annonce de la mort d’un homme. Ensuite on revient dans le passé pour découvrir qui étaient les personnages sur le lieu du crime et enfin nous avons droit aux aveux de ces derniers. Akutagawa ne nous offre pas non plus de réelle fin. Frustrés et perturbés, nous ressortons de Dans le fourré avec un certain mal-être au vu de notre incompréhension.

Cette nouvelle d’Akutagawa est un réel chef-d’oeuvre à tous points de vue et a inspiré de nombreuses adaptations. Les plus célèbres sont Rashômon d’Akira Kurosawa et L’Outrage de Martin Ritt, que j’ai hâte de regarder !

Pour conclure rapidement, car je me suis encore fort étalée, j’ai beaucoup apprécié la lecture de Dans le fourré qui m’a tenue en haleine jusqu’à la fin, car j’attendais avec beaucoup d’intérêt la vérité sur les faits. Si finalement, on ne sait pas qui est le véritable assassin, j’ai personnellement mon avis sur le personnage qui est le plus fautif dans l’histoire :p


Rendez-vous la semaine prochaine pour découvrir la quatrième et dernière nouvelle du recueil de Rashômon et autres contes !

Nouvelle 1 : Rashômon
Nouvelle 2 : Figurines infernales
Nouvelle 3 : Dans le fourré
Nouvelle 4 : Gruau d’ignames

La lecture de ce recueil de nouvelles de Ryûnosuke Akutagawa s’inscrit également dans le challenge Bungô Stray Dogs que je me suis lancée personnellement pour découvrir les auteurs classiques de la littérature japonaise ! N’hésitez pas à y participer si cela vous tente également!

#Yuixem