Les choses immobiles

Titre : Les choses immobiles

Auteur : Michael Roch

Illustrateur : Kévin Deneufchatel

Éditeur : Label Mu des éditions Mnémos

Genre(s) : anticipation

Nombre de pages : 128

Au décès de son père, un jeune homme revient à la Martinique. Accueilli par son frère, il va découvrir l’envers d’une île que la France abandonne, une île en proie à des bouleversements écologiques et sociaux, une île où tout a définitivement changé… comme lui.

Poursuivi par ses démons hexagonaux et les visions d’une étrange anguille spectrale, Charles va s’engager peu à peu, entre relations fraternelles tendues et amours multiples, aux côtés des indépendantistes.

Mon avis

Je remercie les éditions Mnémos qui m’ont permis de découvrir ce roman en avant-première ! Depuis ma lecture coup de cœur de Moi, Peter Pan, je suis toutes les sorties de Michael Roch, auteur de grand talent et à la plume incroyable. Ce roman évoque le retour aux racines, territoriales, familiales, amoureuses, mais aussi les bouleversements, écologiques, sociétaux, personnels.

Charles revient en Martinique. Son frère lui dégote un appart, lui demandant en échange de faire des petits boulots pour lui. Ces derniers vont se révéler tout sauf innocents, son frère entrainant Charles dans des intrigues politiques dont il ne comprend pas vraiment la portée, ou du moins qu’il ne tente pas de comprendre. Des choses se trament dans les ombres de cette Martinique futuriste, et on les découvre au travers les expériences et les relations du protagoniste. Un combat qui n’est pas celui de Charles, mais auquel il prend tout de même part, pour renouer avec son frère, ainsi que par amour. Choisira-t-il de se trouver lui-même ou de servir la cause? Quel que soit son choix, il lui coutera cher…

J’ai beaucoup aimé la narration de ce roman, avec un style assez oral, et pourtant très poétique, posant par la même occasion des réflexions sociétales et politiques, mais aussi sentimentales. On retrouve des mots de créole (qui n’entravent cependant pas la compréhension), mêlé à un récit conté en introspection dans la tête de Charles. Ses sentiments se mêlent à ses pensées sur le monde qui l’entoure. Un monde sans pitié, où les émotions ont peu de place pour s’épanouir face au contexte violent ambiant. La symbolique dans ce roman est aussi très importante, celle du serpent qui mue, mais aussi celle de l’anguille qui étouffe. Lequel des deux triomphera?

De par ses envolées de langage, mais aussi de par son univers, ce roman court est un dépaysement total. Alors que Charles a quitté Paris, il doit se réadapter à ce pays qui était pourtant le sien. Revenir y vivre s’avère fort différent qu’y passer quelques jours l’année. Ce sont des coutumes à (ré)apprendre, un climat à appréhender, mais aussi un paysage à redécouvrir, abimé par l’exploitation outrancière, qui ne demande cependant qu’à redevenir sauvage, libre. Charles est métisse, et cette ambivalence entre deux mondes, la France et la Martinique, va se retrouver tout au long du récit: à quel monde appartient-il vraiment?

Les relations de Charles sont assez complexes. Il souhaite renouer avec son frère, mais convoite sa compagne. Il s’implique dans la trame politique pour cela, mais n’est pas toujours à la hauteur des actes qu’on lui demande. Ce sentiment d’impuissance, d’échec, de frustration face au monde est une part importante de ce roman. Il est aussi indécis dans ce combat que dans ses amours et cela risque de le mener à sa perte.

Citations

« Ses mots, c’est un peu la lumière au bout du tunnel. Au bout de l’enfer, c’est encore plus de lumière. »

« Quand le canal sera maîtrisé, on le fermera d’une digue. Tu te demandes combien de temps. Combien de temps met le progrès pour tout manger. Et de quel côté se vide la mer.
Peut-être bien des deux. »

« Nous ne sommes pas le ban du monde, nous ne sommes pas sa marge, pas sa province, pas son autour. Nous ne sommes pas son évasion, son aire touristique, encore moins sa rédemption. Nous ne le sauverons pas des horreurs qu’il a commisses, nous ne sommes pas son opposé, nous ne sommes pas l’antagoniste de son récit, pas non plus l’objet absolu enfermé par son imaginaire. Nous restons barbares – qui a écrit ça, déjà? – nous devons rester barbares fondamentalement, être barbares à l’idée même d’être leurs barbares. Seul chemin pour apprendre du monde tout en marchant dans son courant, conserver ce regard, construire à partir de lui, engorger, grossir, grandir, englober le mal pour mieux l’entraver, le juguler, le cannibaliser.
Refuser la fiction des autres. Ne s’appartenir qu’à soi-même. Et rester barbare. Et cannibale. »

Conclusion

Un roman court engagé, dans le contexte dépaysant d’une Martinique futuriste. Charles est partagé entre deux mondes, indécis et pourtant militant, partagé entre ses sentiments et ce qu’on attend de lui. Un récit conté avec une plume acérée à certains moments, poétique à d’autres, toujours juste. Une excellente lecture, poignante et interpellante.

extra1

#FungiLumini

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