La Déchéance d’un homme

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Titre : La Déchéance d’un homme
Auteur : Osamu Dazai
Editeur : Gallimard
Genre : roman semi-autobiographique
Nombre de pages : 100
Mots-clés : alcool, suicide, dépression, semi-autobiographie

Quatrième de couverture

Je suis devenu bouffon.
C’était mon ultime demande adressée aux hommes. Extérieurement, le sourire ne me quittait pas ; intérieurement, en revanche, c’était le désespoir. Ainsi se présente Yôzô, né dans une famille riche du nord du Japon, qui veut être peintre, abandonne ses études au lycée de Tôkyô pour travailler dans des ateliers, mais s’initie plus vite au saké et aux filles qu’au dessin et à la peinture. D’amours malheureuses en amours malheureuses, après n’avoir été qu’un médiocre caricaturiste de revues de second ordre, il échoue à vingt-sept ans, malade, tel un vieillard, dans une vieille chaumière irréparable d’où il rédige l’histoire de sa vie, « vécue dans la honte », et alors qu’il ne connaît plus désormais ni le bonheur ni le malheur.

Mot sur l'auteur

Osamu Dazai est un écrivain emblématique de la littérature japonaise du 20e siècle. Né en 1909, Shuji Tsushima – de son vrai nom – vit dans dans la campagne de la préfecture d’Aomori. Élevé par les serviteurs de sa famille, le futur écrivain est entouré principalement de femmes pendant sa jeunesse. Envoyé dans des pensionnats pour ses études, il est profondément marqué par le suicide de l’écrivain Ryûnosuke Akutagawa en 1927. C’est à cette époque qu’il se noie dans l’alcool, qu’il passe son temps auprès de prostituées et qu’il se rapproche du marxisme. Par la suite, Osamu Dazai essayera à plusieurs reprises de se suicider, mais à chaque fois sans succès. C’est en 1933 qu’il publie sa première oeuvre sous son nom de plume. Il continue de publier nouvelles et romans, tout en étant rongé par une vie malheureuse jusqu’à ce qu’il mette définitivement fin à ses jours à l’âge de 38 ans.

Son oeuvre la plus connue est La déchéance d’un homme (人間失格 Ningen Shikkaku – 1948) qui est en partie autobiographique.

Mon avis

Souvent écrit avec un style particulier, parfois difficilement abordable, et racontant des histoires particulièrement complexes ou terriblement liées aux us et coutumes, les classiques littéraires d’un pays ne sont pas toujours faciles à aborder. Même en aimant plus que tout la lecture, nous ne pouvons pas tous nous vanter d’avoir lu les plus grands classiques de la littérature de notre pays. Je ne parlerai pas ici de la littérature française ou belge, mais bien de la japonaise dans laquelle j’aime me plonger ces derniers temps. Après avoir lu quelques romans de littérature contemporaine, je me lance maintenant dans les classiques, dans les ouvrages que tous les Japonais ont découverts pendant leurs années de collège ou de lycée. Pour commencer cette nouvelle aventure – aidée par le challenge de littérature japonaise -, j’ai choisi La Déchéance d’un homme d’Osamu Dazai.

Vous raconter le récit de La Déchéance d’un homme est plus compliqué qu’il n’y parait car il s’agit « simplement » de la vie d’un homme, parmi tant d’autres. Pourtant Yôzô n’est pas comme tout le monde. En effet, il a en lui une mélancolie, une tristesse, une solitude, une sensibilité extrême et inexplicable qui le différencie d’autrui et qui l’exclut de la société dans laquelle il peine à s’intégrer. Effrayé d’être détesté par son entourage, il se crée un faux visage, celui d’un idiot naïf, pour faire rire et ainsi se faire aimer. Mais un jour, un de ses camarades de classe le démasque, déclenchant ainsi le point de départ de la descente aux enfers progressive de notre personnage principal. Passionné d’art, il monte plus tard à la capitale pour devenir un grand peintre. Mais très vite, encouragé par un « ami », il se met à sortir et à dépenser son argent sans compter en alcool et en femmes et s’éloigne du droit chemin que son père souhaitait pour lui. Il ment sans arrêt à sa famille pour recevoir de l’argent, s’endette fortement et finalement n’arrive à survivre qu’en vivant sous la coupe des femmes qu’ils rencontrent alors qu’il est soûl. Menant une vie des plus honteuses pour la société japonaise de l’époque, ce pauvre Yôzô n’attire à lui que des personnes et des situations malheureuses et désastreuses qui l’enfonceront toujours davantage dans ses ténèbres. On assistera ainsi à sa déchéance progressive, qui finira par le rendre indigne d’être qualifié « d’humain ».

Je ne rentrerais pas davantage dans les détails du noir récit de La Déchéance d’un homme pour vous laisser un minimum d’intérêt pour ce court roman. Seulement composé de cent pages, si vous pensez qu’il se lit rapidement, vous feriez fausse route. Il est pénible à lire tout comme l’est Yôzô et c’est justement cela qui fait la force de ce livre ! Le roman d’Osamu Dazai reflète en effet parfaitement la personnalité de l’individu que l’on suit jusqu’à ses 27 ans. Après une brève introduction écrite par un personnage inconnu, le récit est écrit en focalisation interne, nous permettant de suivre de très près tous les faits, gestes et réflexions de notre antihéros. On découvre ainsi son mal-être, ses bouffonneries factices, ses vains efforts, sa mélancolie constante, ses dépendances maladives, son égoïsme enfantin, etc. Alors que la narration à la première personne du singulier offre généralement l’opportunité aux lecteurs de s’identifier au héros, ici aucun rapprochement n’est possible. On a comme l’impression que l’auteur construit un mur invisible entre nous, lecteurs, et son personnage. C’est ce qui m’a particulièrement plu dans ce roman : tout comme Yôzô qui semble être séparé de la société par un immense vide, le récit, dans sa manière stylistique, suit cette même logique. Jamais l’auteur ne nous donnera l’occasion d’aimer son personnage, qui n’est en réalité qu’un monstre en son for intérieur.

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Auto-portrait de Yôzô dans le film d’animation

Dans un style direct et simple, le récit nous livre Yôzô à nu, comme un auto-portrait sur une toile. Ceci fait que jamais nous ne le prenons en pitié et que l’on a même du mal à comprendre ce qui attire tant les femmes chez cet énergumène. En réalité, celles-ci n’ont jamais accès à son véritable lui, et tombent amoureuses d’un pauvre malheureux qui ne désire qu’être aimé. Car en effet, notre personnage, qui n’est doté d’aucune sorte d’amour et qui est terrifié par les hommes de manière générale, est en permanence en recherche d’affection pour réchauffer son cœur froid et vide.

Si l’ambiance générale qui englobe le récit est morose et pessimiste, il arrive parfois qu’un petit sourire se décroche sur notre visage car le style frôle de temps en temps la comédie, permettant de reprendre en quelque sorte notre souffle dans cette histoire si étouffante. On notera également de nombreuses conversations ou réflexions philosophiques remettant en question les valeurs humaines et la société japonaise du début du 20e siècle en pleine crise identitaire. Je fais ainsi référence par exemple à la question du bonheur, à celle de l’hypocrisie des gens, à celle concernant le regard d’autrui ou encore à celle au sujet du lien existant entre les individus.

En lisant La Déchéance d’un homme, qui est un livre semi-biographique d’Osamu Dazai, on découvre également un auteur talentueux mais surtout torturé et malade de l’esprit. Cet ultime roman se présente en quelque sorte comme un aveu, une confession de ce qu’il était réellement. D’ailleurs, l’écrivain réussira finalement à se suicider quelque temps après cette dernière publication, qui est aujourd’hui considérée comme son plus beau chef-d’oeuvre.

La Déchéance d’un homme n’est très certainement pas un « chouette » livre. Pénible à lire car l’on suit une vie sans intérêt d’un pauvre homme qui semble finalement se complaire quelque peu de son malheur, on ressort de cette lecture presque sans aucune émotion. Tout l’intérêt de ce roman, que l’on pourrait presque considérer davantage comme une nouvelle, se trouve dans son style littéraire parfait.

Ce livre a inspiré plusieurs adaptations au Japon, dont un film d’animation disponible chez Kaze et en streaming sur ADN. Pour faire court, celui-ci est plus facilement abordable que le livre, même si cela ne reste toujours pas agréable à regarder. Il faut cependant noter qu’il y a plusieurs points qui diffèrent de la version originale. J’ai ainsi par exemple beaucoup aimé l’incorporation de fantastique dans le récit. Par contre, le réalisateur a fait en sorte que l’on s’apitoie plus sur le sort de Yôzô et lui laisse encore une certaine forme d’humanité – ce qui diffère complètement du roman !

Voici une musique tirée de l’anime qui m’a accompagnée durant la lecture de La Déchéance d’un homme.

Citations

« C’est pourquoi je suis devenu bouffon. C ‘était mon ultime demande d’affection que j’adressais aux hommes. Tout en les craignant au plus haut point je crois que je n’étais pas résigné à tout supporter d’eux. »

« Plus je réfléchis, moins je comprends. Moi seul diffère des autres. »

« Mon idée du bonheur et celle que s’en font les autres se contredisaient tellement que j’en éprouvais un malaise tel que, la nuit, sans cesse, je me retournais dans mon lit, je gémissais, je devenais presque fou. En fait, n’étais-je pas heureux ? Depuis mon enfance on m’avait souvent répété que j’étais un être heureux. Pourtant j’étais toujours affligé de tourments d’enfer ; les gens qui prétendaient que j’étais heureux étaient infiniment plus heureux que moi. »

Conclusion

La Déchéance d’un homme, bien que difficile à aborder, est très clairement l’un des grands chefs-d’œuvre de la littérature japonaise. Confession intime d’un personnage en mal-être, ce court roman est construit avec brio et nous est rendu dans un style à la fois pessimiste, froid mais également quelque peu poétique. Si le récit est sans intérêt, il se pose en miroir parfait, nous reflétant ainsi dans les moindres détails la non-humanité de son personnage principal.

Challenge Littérature japonaise

 

2 réflexions sur “La Déchéance d’un homme

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