Titre : Rouge
Autrice : Pascaline Nolot
Éditeur : Gulf Stream éditeur (collection électrogène)
Genre(s) : conte / fantastique
Nombre de pages : 320
Accroché au versant du mont Gris et cerné par Bois Sombre se trouve Malombre, hameau battu par les vents et la complainte des loups. C’est là que survit Rouge, rejetée à cause d’une particularité physique. Rares sont ceux qui, comme le père François, éprouvent de la compassion à son égard. Car on raconte qu’il ne faut en aucun cas toucher la jeune fille sous peine de finir comme elle : marqué par le Mal. Lorsque survient son premier sang, les villageois sont soulagés de la voir partir, conformément au pacte maudit qui pèse sur eux. Comme tant d’autres jeunes filles de Malombre avant elle, celle que tous surnomment la Cramoisie doit s’engager dans les bois afin d’y rejoindre l’inquiétante Grand-Mère. Est-ce son salut ou bien un sort pire que la mort qui attend Rouge ? Nul ne s’en préoccupe et nul ne le sait, car aucune bannie n’est jamais revenue…
J’ai eu la très belle surprise de découvrir ce roman en avant-première (il sort officiellement mi-avril) dans ma boite aux lettres en ce début d’année, merci Pascaline ! Je connaissais l’autrice pour ses livres jeunesse, ainsi que pour son roman contemporain Sur l’écorchure de tes mots. Elle propose ici une histoire fantastique bien plus sombre, conte cruel qui nous mène au cœur d’obscures superstitions et de tragiques événements.
Rouge est née avec une tache cramoisie qui lui couvre la moitié du visage, ainsi qu’une boursouflure près de la paupière. Sa mère, morte en couches, était folle. Catégorisée comme fille de Satan par les villageois de Malombre, Rouge est maudite, rejetée de tous, et quiconque voudrait la toucher prendrait le risque de se voir transmettre sa malédiction, voire sa pigmentation de peau… Repoussée par son père également, elle dort dans les écuries et subit chaque jour humiliations et violences de la part des villageois.
C’est un personnage très touchant, car elle parvient à continuer à se battre pour vivre, jour après jour, malgré les blessures physiques, mais surtout les coups moraux, qu’elle reçoit. Naïve et innocente, c’est très souvent avec l’énergie du désespoir qu’elle doit combattre les épreuves qu’elle traverse. Sa vie n’est que douleur et elle est condamnée à ne jamais connaitre de marques d’affection. Elle n’a qu’un seul allié : Liénor, un jeune garçon qui n’ose pas la toucher, mais qui apprécie sa compagnie.
Rouge n’est cependant pas la seule malédiction qui plane sur Malombre : depuis la mort de la mère de Rouge, la Grand-Mère, sorcière qui habite le Bois-Sombre, demande un tribut au village. Chaque fille qui saignera pour la première fois devra lui être livrée dans les jours qui suivent. Pourquoi ? Que deviennent ensuite les « bannies » ? Personne ne le sait. Le grand jour arrive pour Rouge, et les villageois la donnent sans remords (voire avec grandes effusions de joie…) aux loups de la magicienne, en espérant que la malédiction qui a commencé avec la mère finisse avec la fille.
Pascaline utilise des éléments qui nous rappellent le Petit Chaperon Rouge : la couleur rouge, le chaperon, le loup, le panier de victuailles, la mère-grand dans une maison au fond des bois… Ces clins d’œil au conte originel sont détournés par l’autrice et cachent des côtés bien sombres. Chaque être rencontré, aussi gentil et serviable qu’il puisse paraitre, cache de bien inquiétants travers. La plus grande leçon de cette histoire est « Ne vous fiez pas aux apparences, elles sont toujours trompeuses » ! On ne peut avoir confiance en personne.
Au travers de flashbacks, souvenirs ou visions, on observe les secrets les mieux gardés des villageois qui ont joué un rôle dans la vie de Rouge. On se rend compte que les personnes qui la traitent de monstre sont celles auxquelles le qualificatif irait le mieux. Les superstitions ont la vie dure à la campagne. Rouge va devoir apprendre qu’on ne peut pas sauver tout le monde, et qu’il faut parfois laisser derrière soi les gens qui s’obstinent dans leurs croyances absurdes.
Les thèmes traités par Pascaline dans ce récit sont essentiels, et tristement d’actualité : le harcèlement moral et physique, la notion de consentement, le viol, la satisfaction de plaisirs égoïstes qui passent par la souffrance des autres… J’y ai trouvé la plume de Pascaline très forte et très juste. Je pense que certaines scènes du livre pourraient choquer ou mettre mal à l’aise les âmes sensibles. Des réflexions sont mises en avant, mais surtout un véritable plaidoyer contre la culture de la culpabilisation des victimes est développé : victimes, vous avez le droit de vous sentir victimes et vous n’êtes pas coupables/responsables des actes odieux commis à votre encontre.
Vengeance, frustration, colère, tristesse, impuissance, dégoût… Un maelstrom d’émotions par lequel Rouge passe et duquel elle devra tenter de sortir pour avancer. Y parviendra-t-elle seulement ou s’y noiera-t-elle ? Nous lecteurs devons également traverser ce bouillonnement de sensations, qui va nous secouer et nous bouleverser tout autant que Rouge. Qu’aurions-nous fait à sa place ?
Ici se pose aussi la question du savoir : est-ce que toute vérité est bonne à entendre ? Rouge veut savoir qui est son père et aura à un moment le choix de savoir ou non ce qui est arrivé à sa mère. Ce choix va changer sa vie, mais aussi risquer de la détruire.
Je dois dire que j’ai beaucoup aimé découvrir le récit de vie de la Grand-Mère sorcière, un personnage honnête bien que cruel, qui met la beauté au-dessus de tout. J’ai aussi été très agréablement surprise par l’épilogue, qui propose un dernier retournement de situation auquel je ne m’attendais pas du tout !
« Désolée, petite vermeille, tes espoirs naïfs demeureront inassouvis. Il n’y a rien de tout cela en toi : pas de prophétie, pas de magie. Ni noire, ni blanche. Ni même rouge. Par le Mal ou par le Bien, tu n’as pas été choisie. Tu es juste…toi. Avec tout ce que tu as dû supporter pour survivre jusque-là, je comprends que cela ne te plaise pas. Néanmoins, c’est ainsi. Il n’y a rien de particulier dans tes stigmates écarlates, hormis le fait que chacun les voit comme une abomination. »
« La vérité est obscène ! la coupa tristement la magicienne. Elle ne t’apportera point la paix. Pas plus que la beauté ne me l’amène. Celle-ci me torture et pourtant, je ne veux qu’elle… »
Mon premier coup de cœur de 2020 : une héroïne victime des superstitions qui va se battre pour connaitre la vérité sur son passé et pour survivre, des clins d’œil tout en noirceur au conte du Petit Chaperon Rouge, des thèmes et réflexions importants chargés d’émotions fortes, portés par la plume très juste de Pascaline. Un récit qui secoue sa protagoniste, mais aussi le lecteur. Je recommande grandement !
#FungiLumini
Je n’avais pas lu son chat blanc à un bon moment pour moi du coup je n’avais pas terminé le roman. Mais la façon dont tu parles de celui ci me donne à penser qu’il pourrait me réconcilier avec l’autrice sur un plan littéraire 🙂 je le note !
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Oui, celui-ci est beaucoup plus ton genre que le chat blanc à mon avis !
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Tiens, et celui de Marianne en chat blanc, tu vas craquer? 😛
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Oui évidemment, c’est Marianne ! Donc je lui laisse sa chance même si a priori je ne suis pas le public et il n’est pas fait pour moi mais j’ai foi en elle 😛
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Pascaline Nolot, j’y vais les yeux fermés ^^
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Tu as bien raison ! Celui-ci est dans un style bien différent des précédents, mais est tout aussi génial ! 🙂
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je garde ta chronique sous l’coude. je suis en train de le lire. les premières pages sont déjà bien séduisantes de noirceur.
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