Tè Mawon

Titre : Tè Mawon

Auteur : Michael Roch

Illustratrice : Corinne Billon

Éditeur : La Volte

Genre(s) : dystopie

Nombre de pages : 224

Lanvil, mégapole caribéenne, vitrine rutilante des diversités culturelles, havre pour tous les migrants du monde, est au centre de tous les regards.

À la pointe de la technologie, constellée d’écrans, la ville s’élève de plus en plus haut mais elle oublie les trames qui se tissent en son sein. Pat et sa bande de débouya vivent de magouilles et de braquages. Joe et Patson courent de galère en galère, poursuivis par les flics. Ézie et sa sœur Lonia, traductrices, infiltrent les hautes sphères des corpolitiques. Toutes et tous rêvent en secret de retrouver la terre de leurs ancêtres, le Tout-monde, enseveli quelque part sous le béton. Pour y parvenir, un seul chemin : faire tomber les murs entre l’anba et l’anwo, et renverser l’ordre établi.

Roman choral irrigué par une langue hybridée et vibrionnante, Tè mawon ouvre la voie à une science-fiction caribéenne francophone, inventive et décoloniale.

Mon avis

Je remercie les éditions de la Volte et Babelio pour l’envoi de ce roman ! J’aurai de toute façon craquer pour ce roman aux Imaginales si je ne l’avais pas reçu : Michael Roch est une des plumes incontournables des littératures de l’imaginaire francophone. Si ses deux premiers romans tournaient autour de la réécriture de Peter Pan, celui-ci nous emmène tout à fait ailleurs, dans une mégalopole du futur qui peut sembler utopique au premier abord, mais qui se révèle rapidement hostile et corrompue dès qu’on gratte un peu à la surface.

Pas de temps à perdre, on embarque tout de suite dans les aventures des différents protagonistes : Patson et Joe sont à la recherche de la copine de ce dernier qui a disparu, Pat s’apprête à lancer un gros coup qui lui permettra d’accéder enfin au tout-monde, les sœurs traductrices Ézie et Lonia se détestent mais doivent collaborer au sein du service du politicien Kossoré. Les liens entre les différents fils narratifs s’éclaircissent au fur et à mesure que l’histoire avance.

On découvre le monde futuriste de l’auteur au travers des déplacements des protagonistes. Certains vivent dans l’anwo, dans la ville riche et technologique, tout en grandeur et décadence, mais on se rend vite compte que toute cette richesse n’est qu’illusion qui cache une réalité bien plus sombre. Les nanobots, les écrans publicitaires, les drones de surveillance sont partout, rendant la ville soi-disant plus sûre. D’autres vivent dans l’anba, là où les rejetés de l’anwo, les démunis, les défavorisés, les exilés se rejoignent. La misère y est omniprésente, mais c’est aussi là que la révolte se prépare.

Le point fort ET la difficulté de ce roman est la langue. Point fort car le style de Michael Roch est toujours aussi percutant, à la fois lyrique tout en énonçant des vérités incisives. Les personnages parlent un mélange de français et de Kréyol, en langage soutenu ou plus populaire, voire même parfois en code. Quelques fois, c’est quelques mots à peine qu’on retrouve dans leur fil narratif, mais pour Pat par exemple, c’est une grosse part de ses paroles, ce qui rend la compréhension au départ plutôt difficile. Il faut en tout cas un temps d’adaptation, et une fois les codes de langage acquis, cela devient bien plus aisé. J’ai aussi beaucoup aimé le concept de traduction dans ce roman, qui ne traduit pas seulement la langue, mais aussi les expressions de visage, les comportements… grâce notamment à une technologie, implantée directement dans le corps.

Chaque personnage a sa propre quête à mener. Certains ont des objectifs plus personnels (retrouver son amour, rendre son père fier, détruire la vie d’une personne), mais souvent, ces objectifs rejoignent des volontés plus idéalistes, globaux, qui vont tenter de faire avancer le modèle de société dans lequel les personnages se trouvent. J’ai aimé suivre chacun, jusqu’au dénouement final, inéluctable.

Citations

« Le vrai combat n’est plus dans la rue. Les grèves sont éternelles depuis près d’un siècle. Elles n’ont jamais rien changé à notre démocratie. La lutte de nos pères s’est endormie dans le confort urbain, les extrémismes sont éphémères et maîtrisés, les corpolitiques s’enlisent dans l’incarnation d’un nouveau centre de monde. J’en demeure persuadée, tous se trompent encore. »

« Qui rêve de ça ? Un monde qui repose sur une illusion, une dématérialisation… Nous vivons dans nos idées et nos pensées, à des années-lumière de notre corps. Nous faisons mine de protéger nos pauvres derrière des portails sanitaires et des dédales de paliers, mais nous les condamnons à l’oubli dans les fondoks de Lanvil. Lanvil est incapable de s’occuper de ses individus. Elle ne prend en compte que la masse. Chaque jour, elle oublie un homme ou une femme, et laisse cette personne dans sa misère. Elle est punie pour toutes les autres. »

« Si tu veux sauver le monde, tu fais en sorte qu’aucune langue n’en domine une autre. Parce que quand une langue domine l’autre, l’autre finit par lui appartenir et disparaître. Du coup on existe que si on parle, tu vois? Alors il faut l’équilibre. Moi, j’y crois, à cette histoire d’équilibre. Faut te demander à quel moment, dans ta tête, ta langue écrase l’autre. A quel moment tu oublies que tu appartiens au monde entier, et à quel moment tu acceptes de t’enfermer dans une seule partie de l’humanité. »

Conclusion

Un roman choral de par la multiplicité des voix, mais aussi des langues utilisées, une société hautement technologique divisée en deux niveaux, le tout porté par une plume à la fois poétique et incisive. Un texte peut-être un peu difficile d’accès au premier abord, mais qui vaut l’effort de s’y plonger !

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#FungiLumini

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