Le Club des érudits hallucinés

Couv-Le-Club-des-Érudits-HallucinésTitre : Le Club des érudits hallucinés

Autrice : Marie-Lucie Bougon

Illustrateur : Miesis – Sylvie Veyres

Éditeur : éditions du Chat Noir

Genre(s) : steampunk

Nombre de pages : 349

« Je commence aujourd’hui cet ouvrage, ou du moins sa première ébauche, consacré au sujet inédit et encore bien peu documenté qu’est la biomutation (le néologisme est de mon cru.) La biomutation désigne un phénomène déjà amplement constaté, mais encore jamais étudié de manière rigoureuse et scientifique : la capacité qu’ont les objets inertes, et ce tout spécialement quand ils atteignent un haut degré de sophistication à, pour le dire vulgairement, prendre vie. »
Brouillons du professeur Mirandol Brussière.

Quand la jeune Eugénia trouve refuge dans la maison du professeur Brussière, physicien en retraite dirigeant un petit cercle d’érudits, elle ne révèle pas immédiatement son extraordinaire nature : elle n’est pourtant autre que l’andréïde, la première femme artificielle, prodige d’une mystérieuse technologie décrite par Villiers de l’Isle-Adam dans L’Ève future. Avec l’aide du professeur et des membres du cénacle, un étudiant passionné, un dandy mélomane, un aventurier aguerri et une voyante excentrique, Eugénia part en quête des secrets de sa conception, car une question obsessionnelle occupe son esprit : une machine peut-elle posséder une âme ?

Mon avis

J’avais lu et beaucoup aimé la nouvelle éponyme dans le recueil Montres enchantées. Ce roman est basé à la fois sur cette nouvelle (qui est proposée en prologue pour ceux qui n’auraient pas le recueil), et sur le roman L’Ève future de Villiers de l’Isle-Adam, que j’avais lu durant mes études et qui m’avait fascinée à l’époque. J’avais donc hâte de découvrir ce livre aux accents steampunk qui reprend des thèmes récurrents du genre : jusqu’où peut aller la création humaine ? et les machines peuvent-elles acquérir une forme de conscience ? J’ai mis un peu de temps à lire ce livre, car je l’ai lu à voix haute pour la Ligue Braille (Opération « Je lis pour toi » si jamais ça vous intéresse d’en savoir plus 😉 ).

On retrouve donc le club d’érudits (scientifiques, intellectuels, médiums, nobles…) au manoir du professeur Brussière. Leurs recherches se focalisent sur la biomutation ou la capacité des machines à évoluer sous certaines conditions. Eugénia, jeune fille adoptée par le professeur, est au cœur de ces recherches, puisqu’elle provoque souvent des phénomènes de biomutation, et pour cause : le club a découvert récemment qu’elle était une andréïde, machine d’exception fabriquée de toutes pièces. Le groupe ne peut cependant pas croire qu’elle n’a aucune conscience, aucune âme, et va l’aider dans sa quête d’identité. Ce qu’ils vont découvrir va les mener à de sombres souvenirs, des trouvailles imprévues et des rencontres inattendues.

Ce roman comporte de très nombreux personnages, tous plus originaux les uns que les autres. L’autrice a réussi à donner à chacun une identité propre, une personnalité forte et un rôle particulier à jouer dans la résolution de l’intrigue sans pour autant noyer le lecteur d’informations. J’ai pour ma part beaucoup aimé Barberine, vieille dame qui communique avec l’au-delà, toujours très bienveillante et attentive aux autres, qui n’hésite pas une seconde à accompagner Eugénia dans sa quête. J’ai beaucoup apprécié également Alcibiade (quel prénom !), jeune noble propre sur lui qui part à l’autre bout du monde pour aider la petite andréïde.

Et puis bien sûr, il y a le personnage d’Eugénia. Elle se sait faite de matériaux divers et n’avoir rien d’humain, et pourtant, pour nous lecteur, c’est souvent elle qui parait la plus humaine de tous. On plonge au cœur de ses souvenirs avant sa rencontre avec le professeur pour n’y voir que malheur, comportements hostiles et déplacés, voire traumatisants. J’ai beaucoup aimé la façon dont l’autrice traite ce personnage et j’ai adoré la fin qu’elle lui a donnée !

Ce qui fait aussi le charme de cet ouvrage, c’est la société steampunk d’époque qui y est développée : on se réunit pour prendre le thé dans des salons, on assiste à des duels aux pistolets, les nobles se regroupent pour des séances de spiritisme ou au café pour des conciliabules secrets… Il en va de même pour la technologie utilisée : les moyens de transport fonctionnent à l’orichalque, on voyage en scaphe, en zeppelin…, on communique avec des lettres ou par phonotron. Bref, c’est un nouveau monde qui s’ouvre à nous, pour notre plus grand plaisir !

Des notions très intéressantes sont exposées, qui poussent à une réflexion plus profonde : la biomutation, le niveau de conscience des machines, mais aussi des concepts plus humains, notamment sur le devoir de répondre au rôle prédéfini pour nous par la société ou de parvenir à s’en émanciper pour devenir la personne qu’on souhaite réellement être. Il y a aussi beaucoup de questionnements sur l’âme et la vie après la mort. Beaucoup de pistes à suivre donc, sans pour autant y trouver des réponses catégoriques.

Un autre aspect que j’ai aimé est la diversité des supports de narration : il y a des chapitres « normaux », racontés par l’un ou l’autre des personnages, mais il y a aussi nombre de  lettres, d’extraits d’essais… qui amènent les éléments de l’intrigue de façon plus originale. Mention spéciale aussi pour le titre du dernier chapitre. 😉 J’ai rencontré l’adorable autrice à la Foire du Livre de Bruxelles, et elle m’a parlé d’un potentiel spin-off sur Barberine… affaire à suivre !

Citations

« Je ne sais ce qui me pousse à m’avancer vers les rayonnages. L’ennui, peut-être ? Je ne m’en rappelle pas. Je me revois seulement me mettre debout, promener un doigt sur les tranches épaisses et douces, lire rapidement les titres. Je choisis un roman d’aventures dont le nom désormais m’échappe, une distraction pleine de romances désastreuses, de duels singuliers, de querelles et d’attaques de bandits. La lecture me prend, me saisit à la gorge, donne un sens à mes jours. Je parcours page après page à une vitesse délirante, ne pouvant empêcher mes yeux de suivre le tracé des mots, de poursuivre leur course folle vers le prochain chapitre. »

« Rêves, souvenirs… Le tout s’est mélangé étroitement pendant ces derniers jours. J’ai parfois même l’étrange sensation que dans mon esprit se produisent des accidents de rouages, des flux d’images et de paroles sur lesquels je n’ai pas le moindre pouvoir. Il m’a été difficile de me reconcentrer, de focaliser ma mécanique imparfaite sur les images que j’essaie d’exhumer, profondément enfouies dans l’ombre. Mais elles continuent de revenir, même en désordre. »

Conclusion

Un roman steampunk que j’ai beaucoup aimé : une intrigue basée sur la biomutation et le niveau de conscience des machines, qui mène à une série de réflexions très intéressantes, de nombreux personnages qui ajoutent à l’originalité du récit, un univers steampunk d’époque  mêlé à de nouvelles technologies. Une protagoniste andréïde attachante et étonnante d’humanité !

extra1

#FungiLumini

Une réflexion sur “Le Club des érudits hallucinés

  1. C’est génial de l’avoir lu à voix haute pour les personnes malvoyantes 😄 belle initiative ! Et beau retour sur ce roman que j’ai moi aussi beaucoup aimé. À tel point que je l’ai racheté pour ma bibliothèque alors qu’on me l’avait prêté :3

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