Titre : La quête onirique de Vellitt Boe
Auteure : Kij Johnson
Illustrateur : Nicolas Fructus
Traductrice : Florence Dolisi
Éditeur : Le Bélial
Genre(s) : Fantastique
Nombre de pages : 200
Clarie Jurat a disparu. Nul ne sait où, mais il semblerait qu’elle se soit enfuie en compagnie d’un homme… un homme venu du monde de l’éveil. Au sein du Collège de femmes d’Ulthar, c’est la consternation : pareille fugue pourrait remettre en cause l’existence même de l’institution. Pour Vellitt Boe, le temps est venu d’abandonner ses atours confortables de professeure vieillissante au profit de sa défroque oubliée de voyageuse émérite ; retrouver son élève est impératif. Une quête qui la conduira loin, bien plus loin qu’elle ne l’imagine, d’Ulthar à Celephaïs, au-delà même de la mer Cérénarienne, jusqu’au trône d’une ancienne connaissance, un certain Randolph Carter…
Je remercie Babelio et les éditions Le Bélial pour l’envoi de ce livre lors de la dernière Masse Critique des mauvais genres. Je fais partie de ces gens qui ne connaissent Lovecraft que par d’autres médias que ces œuvres : jeux de société, jeux vidéo, l’anthologie La clé d’argent des contrées du rêve, film, série, etc. Je compte bien un jour lire Lovecraft, car son univers me plait beaucoup, mais je n’en ai juste pas encore eu l’occasion. Je savais en postulant pour ce livre qu’il s’agissait d’une réécriture de l’univers de Lovecraft (le titre donne un gros indice :p), mais plutôt dans la veine young adult et j’étais curieuse de voir comment l’auteure se réappropriait ce monde à part pour un public plus jeune.
Le livre-objet est très beau : la couverture étoilée et mystique rappelle différents éléments typiquement lovecraftiens. L’intérieur de cette couverture représente une carte du monde, sur laquelle on peut suivre l’itinéraire de la protagoniste. Il y a aussi pas mal d’illustrations noir et blanc, pleine page ou plus petites, réalisées par Nicolas Fructus, illustrateur de Lovecraft par excellence. Les 20 dernières pages de l’ouvrage sont consacrées à une interview de l’auteure très intéressante, qui éclairent certains points de la lecture.
Clarie Jurat est une jeune étudiante modèle à l’université des femmes d’Ulthar, jusqu’au jour où…elle rencontre un jeune homme du monde de l’éveil. Ils décident de fuir ensemble pour se rendre dans ce monde. Le problème, c’est que Clarie est la fille d’un des mécènes de l’université, qui pourrait bien la faire fermer s’il se rend compte que sa fille est partie ! Sa professeure Vellitt Boe décide de partir à sa poursuite pour lui faire entendre raison. Arrivera-t-elle à la rattraper avant qu’elle passe les portes du monde de l’éveil?
L’univers de Lovecraft, du moins de ce que j’en connais, m’a semblé particulièrement bien représenté dans ce livre, que ce soit au niveau des paysages, des lieux ou encore du bestiaire et des coutumes. Il y a même une brève apparition du célèbre Rêveur Randolph Carter ! Je ne pense pas qu’il faille avoir lu Lovecraft pour apprécier ce récit. J’y ai pour ma part découvert un aspect que je ne connaissais pas : la place de la femme dans les Contrées du Rêve. En fait, elle n’en a pas vraiment ! La population est majoritairement masculine, les femmes souvent ne voyagent pas, ne sont pas éduquées, bref sont considérées comme des moins que rien. Si j’avais entendu parler du racisme présent dans l’oeuvre de l’auteur, cette part misogyne m’avait jusqu’à présent échappé.
Vellitt Boe est une dame déjà d’un certain âge, qui entreprend une incroyable quête, dont on doute de plus en plus de la réussite au fil des pages qui avancent. Elle a déjà beaucoup voyagé dans sa jeunesse, vécu mille aventures, visité des tas d’endroits. Elle connait déjà un peu la route à prendre, mais les Contrées du Rêve évoluent en continu, les distances ne sont jamais les mêmes, la faune n’est pas très amicale, les femmes ne sont pas toujours bien vues et donc acceptées et les dieux veulent pimenter sa quête en lui mettant des obstacles supplémentaires sur la route. Ce fut un véritable plaisir que de parcourir les chemins avec Vellitt, de trembler avec elle la nuit, de patienter lors de longues traversées ou encore de courir pour sauver sa peau.
Vellitt est accompagnée d’un chat depuis son départ d’Ulthar. Il a décidé de la suivre et c’est une présence bienvenue dans ce récit, à la fois réconfortante et rassurante, qui a souvent évité à Vellitt de sombrer dans la folie de la solitude, dans les endroits les plus sombres et les plus isolés.
Le monde de l’éveil est présenté comme un monde de rêve : on y vit en toute liberté, sans dieux pour jouer avec le destin. Qu’en est-il réellement? La fin de l’ouvrage est ouverte : que va-t-il se passer ensuite pour Clarie et Vellitt ? On ne peut que le supposer, c’est à la fois frustrant et très fort.
J’avais envie de finir cet avis sur une petite réflexion. Kij Johnson a gagné le prix World Fantasy Award pour cette novella. Ça me choque un peu qu’un auteur reçoive un prix pour un univers qu’il n’a pas créé et qui n’est pas le sien. N’est-ce pas une sorte de vol par rapport à l’auteur original? Quelle légitimité peut avoir un tel texte pour un prix littéraire, alors que rien de nouveau n’a vraiment été ajouté au monde de départ? Attention, j’ai bien aimé cette lecture, mais je ne pense pas qu’elle mérite un prix littéraire considérant le fait qu’il s’agit de l’univers d’un autre… Est-ce que je suis la seule que cela choque? :p
« Elle se réveilla en plein jour. Ses bras lui faisaient mal – elle avait tenu trop longtemps la machette et la torche-, et sa cheville avait enflé, mais elle se sentait incroyablement bien, plus vivante que depuis des années. Un souvenir lui revint en mémoire, et elle ne put s’empêcher de sourire. Un compagnon de voyage lui avait dit un jour : « Survivre. Rien de tel pour se sentir vivant. » »
« – Toutes ces étoiles… » Elle avait soupiré, pensive. « Est-ce qu’elles possèdent des dieux? Qui passent leur temps à s’annihiler, comme les nôtres?
– Ce n’est pas pareil, dans le monde réel. » Il parlait de la Terre, bien sûr.
Elle avait tenté de visualiser la chose. « Si le ciel est infini, pourquoi venir ici? Vous avez des milliards d’étoiles rien que pour vous !
– Notre monde n’a aucun élan, aucune ampleur, avait-t-il répondu. Pas la moindre poésie ténébreuse. Les astres sont hors de notre portée. Même la lune est à des centaines de milliers de kilomètres ! Ces étoiles n’ont aucun sens.
– Doivent-elles en avoir un? » avait-elle alors murmuré. »
Une expérience de voyage hors du commun qui nous emmène visiter les Contrées du Rêve, ses merveilles…et ses horreurs ! Une protagoniste posée et réfléchie qui prend beaucoup de risques pour retrouver son élève disparue. Un très beau livre-objet, que j’ai aimé parcourir !
#FungiLumini
Cthulhu Fhtagn…
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Chouette chronique ! Je ne savais pas qu’il avait reçu un prix littéraire et c’est une question difficile que tu poses là puisque d’une certaine manière, nous nous inspirons tous de quelque chose
Du coup… Après, est-ce qu’il prend vraiment place dans l’univers de Lovecraft en réutilisant ses personnages? Ou est-ce qu’il créé autour? L’œuvre étant dans le domaine public (il me semble) c’est une question épineuse mais je comprends ton point de vue: ça aurait été pas mal de récompenser un auteur à l’univers entièrement original !
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Tout ce qui se trouve dans ce livre, sauf peut être les personnages en tant qu’individu unique, est repris de Lovecraft( lieux, bestiaire, etc). Je ne sais pas si on peut vraiment juste parler d’inspiration dans ce cas et c’est ça qui me dérange pour le prix litteraire :p
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Ah dans ce cas je comprends parfaitement et je te rejoins! Ça mériterait une vraie réflexion sur ce qu’est l’inspiration, l’hommage et la place de la créativité personnelle dans la reprise d’un univers du domaine public… Que des questions intéressantes je trouve **
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Je l’ai fini hier, quel hasard ! Pour ma part, j’ai découvert en chemin qu’il s’inspirait de Lovecraft et je n’ai pas davantage lu Lovecraft que toi (c’est aussi prévu… mais quand ?). Personnellement, ça m’a un peu gênée, je pense que j’aurais peut-être plus aimé ma lecture si j’étais été plus fine connaissance de l’oeuvre-source. Sans avoir détesté (Vellitt est un personnage plaisant à découvrir, certains décors posés sont vraiment chouettes et le début m’a vraiment plu), j’ai trouvé l’ensemble un peu trop linéaire et forçant le trait pour nous faire découvrir certaines parties des Contrées du rêve.
Par contre, tu as raison, le livre est très beau, avec toutes ces illustrations (j’aime beaucoup la carte) !
Je ne m’étais pas posée de question sur le prix qu’a obtenu Kij Johnson, mais maintenant que tu le dis, c’est vrai que l’on peut s’interroger. Il nous faudrait peut-être lire l’oeuvre originale pour juger pleinement de la part d’originalité de la réécriture. (Ah, et pour répondre à OmbreBones, les œuvres écrites du vivant de Lovecraft sont bien dans le domaine public ! Mais apparemment pas encore toutes les posthumes.)
Merci de ta critique !
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En fait, au départ, je pensais que Vellitt irait rapidement dans le monde de l’éveil et que ça serait ça l’originalité : découvrir notre monde à travers les yeux d’une dame des contrées du rêve. C’est vrai que j’ai eu aussi ce sentiment qu’il fallait nous montrer le plus d’endroits, rencontrer le plus de créatures possible pour montrer la connaissance de Lovecraft de l’auteure. Mais Vellitt était une chouette protagoniste, alors ça allait 😀
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Ce livre a effectivement l’air très beau !
Je suis comme toi, je n’ai quasiment pas lu Lovecraft, à part une nouvelle je crois, et j’en connais l’univers principalement grâce aux jeux de société ! D’ailleurs, c’est pour ça que j’ai cédé à l’appel de l’intégrale des Moutons Électriques sur Ulule. Bon, ça n’arrivera qu’en 2019, mais ce sera clairement chouette !
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J’ai longtemps hésité pour participer aussi à la campagne ulule mais mon budget du moment ne l’a finalement pas permis 😦 ça s’annonce être un superbe projet, tu as bien fait de craquer 😉
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La question du prix littéraire ne m’a pas choqué car je n’avais pas du tout pensé à ça !
Ta réflexion se tient : bien sûr, tout était fait d’avance et elle n’avait qu’à dérouler son histoire, très bonne au demeurant.
Mon avis, c’est que ce qui compte ici est ce qu’elle fait de l’œuvre. Lovecraft était un super écrivain, avec des idées abjectes. Pour moi, Kij Johnson prend une sorte de « revanche » sur la jeune lectrice et écrivaine admiratrice de Lovecraft qu’elle a été en questionnant la misogynie de son monde notamment. 🙂
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